Saint-Louis ou les pièces détachées d’un corps miraculeux1
Partis en croisade, le roi Louis IX meurt de l’autre côté de la Méditerranée à Carthage le 25 août 1270. Son entourage est alors confronté à un dilemme important : où inhumer le corps ? Il ne peut définitivement pas être inhumé à Carthage, si loin de son royaume. Charles d’Anjou, le frère du roi décédé, souhaite que le corps soit enterré près de Palerme, à l’abbaye de Monreale, tandis que son fils, Philippe IV, souhaite que son père soit ensépulturé en France, à la Basilique Saint-Denis. Chacun défend son point de vue en présentant différents arguments. Ainsi, Charles d’Anjou justifie son choix en expliquant que Palerme est plus proche de Carthage, facilitant alors le transport du corps. Philippe IV souhaite quant à lui respecter la tradition royale, et faire inhumer son père auprès des rois Mérovingiens et Carolingiens.
Un corps séparé en deux pour un double enterrement
Un compromis est trouvé : il est décidé que le roi serai inhumé à Paris et à Palerme. Le corps du roi doit donc être séparé en deux. Ce choix étant fait, comment procède t-on ? Les pratiques de l’embaumement étant inconnues à l’époque, l’unique moyen de procéder est de faire bouillir le corps. Cette (étrange ?) technique permet de séparer les os des parties molles. Les premiers sont placés dans un reliquaire, envoyés à Paris tandis que les secondes, devenues “bouillon” sont conservées dans une vasque et rejoignent Palerme. Les os arrivent à Paris le 21 mai 1271 transportés sur les épaules de Philippe III. Dès leur arrivée, les reliques du roi produisent immédiatement des miracles. A partir de ce moment, tout le monde souhaite posséder une pièce de ce corps miraculeux.

Dispersion d’un corps à travers le monde
Les pièces de ce corps miraculeux deviennent alors très recherchées. Chacun souhaite acquérir une partie de ce corps pour bénéficier des miracles qu’il produit. Devenant ainsi un cadeau diplomatique de choix, ce corps sert de monnaie d’échange entre les différents souverains occidentaux.
Le premier à disperser les morceaux de ce corps miraculeux est Philippe le Bel, petit-fils de Louis IX. Dès 1306, le roi offre une côte de son grand-père à la cathédrale de Paris avant que la tête du roi-saint rejoigne la Sainte-Chapelle. Les moines de Saint-Denis parviennent à retenir une partie de la mâchoire inférieure. Le corps s’exporte également à l’étranger, à travers tous les royaumes occidentaux. D’abord en Norvège. Le roi de Norvège Håkon V réclame une phalange pour l’église de Tysoën. Puis, en Suède où, en 1335, Blanche de Suède obtient quelques morceaux d’os pour le monastère de Saint-Brigitte, à Prague, ville du Saint-Empire, des os sont envoyés à l’empereur Charles IV en 1378 puis conservés au sein de la cathédrale et jusqu’à Rome puisque le pape Boniface IX réussit à se faire offrir une côte en 1392.

Aux siècles suivants, les parties du corps ne cessent de passer de main en main, à des puissants de plus en plus exigeants. En 1430, Louis VII de Bavière reçoit un os, tandis qu’un autre est offert à Marie de Médicis en 1610. Celle-ci le rendra finalement un mois plus tard, insatisfaite de son acquisition. Six ans après, la même situation se reproduit : Anne d’Autriche retourne la relique qui lui est offerte la jugeant beaucoup trop petite et réclame en échange une cote entière. Le corps de Saint-Louis finit même par traverser l’Atlantique. En 1926, un morceau de la côte et une partie de la mâchoire inférieure conservés à la Cathédrale de Notre-Dame furent donnés à l’église Saint-Louis de Montréal au Canada par l’archevêque de Paris. Quant aux parties molles, elles ne cessent de faire des allers-retours entre l’Europe et le Nord de l’Afrique. Au XIXe siècle, le “bouillon” conservé près de Palerme est offert au cardinal Lavigerie, archevêque d’Alger et de Carthage. Il rejoint alors la cathédrale de Carthage en 1890, lieu de la mort du roi des siècles auparavant. Il est ensuite transféré en 1965 à l’Église Sainte-Jeanne d’Arc à Tunis. Vingt ans plus tard, les parties molles retraversent finalement la Méditerranée pour être déposées à l’évêché de Saint-Denis en 1985, puis à la cathédrale Saint-Louis à Versailles en 1999 où elles reposent jusqu’à aujourd’hui.

En plus de son corps, c’est également le prénom du roi qui se disperse à travers le monde. Après sa mort, Louis devient le nom royal par excellence s’inscrivant ainsi dans la généalogie des rois de France. Par la suite, ce prénom symbolisera partout sur terre la France missionnaire. Durant la triste époque de la colonisation française, fleurissent du Sénégal au Missouri de nombreuses villes avec Saint-Louis pour toponymie. En plus du français, ce toponymie se décline dans toutes les langues : espagnol, portugais, wandat (langue amérindienne de la tribu des Hurons au Québec), en haïtien, en guadeloupéen, en sénégalais et même en mauricien.
1 Article inspiré de “La mort de Louis IX à Carthage”, un épisode de la série documentaire Quand l’histoire fait date diffusée sur Arte url : https://www.youtube.com/watch?v=cyb7V7y53pI&t=1079s